La Cour internationale de Justice a tenu les audiences publiques le jeudi 16 et le vendredi 17 mai 2024 à la Haye, au Pays-Bas, dans le cadre de l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), demande tendant à l’indication de mesures conservatoires additionnelles et à la modification des mesures précédemment indiquées, alors qu’Israël poursuit son offensive militaire à Rafah, aggravant par ailleurs, la souffrance des palestiniens.
Les audiences publiques sur la demande déposée le 10 mai 2024 par l’Afrique du Sud tendant à l’indication de mesures conservatoires additionnelles et à la modification des mesures conservatoires précédemment prescrites par la Cour en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël) se sont achevées aujourd’hui.
La délégation de l’Afrique du Sud était conduite par S. Exc. M. Vusimuzi Madonsela, ambassadeur de la République sud-africaine auprès du Royaume des Pays-Bas, et M. Cornelius Scholtz, conseiller juridique, ambassade de la République sud-africaine au Royaume des Pays-Bas, comme coagents.
La délégation d’Israël était conduite par M. Gilad Noam, Attorney General adjoint chargé du droit international, ministère de la justice de l’État d’Israël, et Mme Tamar Kaplan Tourgeman, conseillère juridique par intérim du ministère des affaires étrangères de l’État d’Israël, comme coagents. Au terme de la présentation de leurs arguments respectifs, les coagents de l’Afrique du Sud et d’Israël ont présenté, les 16 et 17 mai respectivement, les demandes suivantes à la Cour.
Pour l’Afrique du Sud : « L’Afrique du Sud prie respectueusement la Cour de prescrire à l’État d’Israël, en sa qualité d’État partie à la convention sur le génocide et de partie à l’instance :
1) immédiatement, et conformément aux obligations auxquelles il est tenu au titre des ordonnances précédentes rendues par la Cour les 26 janvier et 28 mars 2024, de cesser ses opérations militaires dans la bande de Gaza, et notamment dans le gouvernorat de Rafah, et de se retirer du point de passage de Rafah, et de procéder au retrait immédiat et inconditionnel de l’intégralité de ses forces militaires de la bande de Gaza ;
2) immédiatement, et conformément aux obligations auxquelles il est tenu au titre de la quatrième mesure conservatoire indiquée dans l’ordonnance du 26 janvier 2024 et des mesures indiquées aux alinéas a) et b) du point 2 du dispositif de l’ordonnance du 28 mars 2024, de prendre toutes mesures permettant effectivement de garantir et de faciliter l’accès sans entrave à Gaza des représentants de l’ONU et d’autres organisations chargées de la fourniture d’aide et d’assistance humanitaire à la population de Gaza, ainsi que des missions d’établissement des faits, des organismes ou agents mandatés par des organisations internationales, des enquêteurs et des journalistes, afin qu’ils puissent évaluer la situation sur le terrain à Gaza et en rendre compte, ainsi qu’assurer la préservation et la conservation effectives des éléments de preuve ; et de veiller à ce que son armée n’empêche pas cet accès, cette fourniture, cette préservation ou cette conservation ;
3) de soumettre à la Cour un rapport public : a) sur l’ensemble des dispositions qu’il aura prises pour donner effet à ces mesures conservatoires, dans un délai d’une semaine à compter de la date de l’ordonnance que la Cour aura rendue ; et b) sur l’ensemble des dispositions qu’il aura prises pour donner effet à toutes les mesures conservatoires précédemment indiquées par la Cour, dans un délai d’un mois à compter de la date de ladite ordonnance.
Pour Israël :« L’État d’Israël demande à la Cour de rejeter la demande tendant à la modification et à l’indication de mesures conservatoires soumise par la République sud-africaine. »
Ainsi, la Cour entamera à présent son délibéré. La décision de la Cour sera rendue lors d’une séance publique, dont la date sera annoncée en temps voulu.
Contexte
Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé une requête introductive d’instance contre l’État d’Israël au sujet de supposés manquements par cet État aux obligations qui lui incombent au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (la « convention sur le génocide ») en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza.
La requête contenait également une demande en indication de mesures conservatoires, déposée conformément à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement. L’Afrique du Sud y priait la Cour d’indiquer des mesures conservatoires comme « protection contre un nouveau préjudice grave et irréparable aux droits que le peuple palestinien tient de la convention contre le génocide », et de « faire en sorte qu’Israël respecte les obligations que lui fait la convention de ne pas commettre de génocide, et de prévenir et de punir le génocide ».
Le 26 janvier 2024, la Cour a rendu son ordonnance sur ladite demande.
Le 16 février 2024, la Cour a rendu sa décision sur une demande en indication de mesures conservatoires additionnelles présentée par l’Afrique du Sud en date du 12 février 2024. Le 28 mars 2024, la Cour a indiqué des mesures conservatoires additionnelles par suite d’une nouvelle demande de l’Afrique du Sud datée du 6 mars 2024 tendant à l’indication de mesures conservatoires additionnelles et à la modification de son ordonnance du 26 janvier 2024.
Le 10 mai 2024, la République sud-africaine a soumis une demande tendant à l’indication de mesures conservatoires additionnelles et à la modification des mesures conservatoires précédemment prescrites par la Cour.
L’Afrique du Sud a demandé à la Cour d’indiquer d’urgence de nouvelles mesures conservatoires ou de modifier celles qu’elle a précédemment indiquées, conformément à l’article 41 de son Statut, au paragraphe 1 de l’article 73, au paragraphe 1 de l’article 74, aux paragraphes 1 et 3 de l’article 75 ou au paragraphe 1 de l’article 76 de son Règlement, compte tenu des changements dans la situation ou des faits nouveaux exposés ci-après. Elle prie également le président de la Cour d’inviter d’urgence Israël à agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur sa demande puisse avoir les effets voulus, en vertu du paragraphe 4 de l’article 74.
Les mesures conservatoires précédemment indiquées par la Cour ne peuvent « couvrir … intégralement » le changement de circonstances et les faits nouveaux sur lesquels se fonde la présente demande. La situation résultant de l’offensive israélienne contre Rafah et le risque extrême qu’elle fait peser sur la fourniture de l’aide humanitaire et des services de base à Gaza, la survie du système médical palestinien et la survie même des Palestiniens de Gaza en tant que groupe ne représentent pas seulement une aggravation de la situation existante, mais sont en outre à l’origine de faits nouveaux qui causent un préjudice irréparable aux droits du peuple palestinien de Gaza.
Ce changement de circonstances à Gaza est manifeste à trois égards au moins. Premièrement, Rafah est aujourd’hui, de fait, le dernier refuge à Gaza pour un million et demi de Palestiniens qui y vivaient déjà ou y ont été déplacés par les actes d’Israël, et le dernier lieu, à Gaza, où il soit possible de se loger et d’avoir accès à l’administration publique et à des services publics de base, notamment aux soins médicaux. Deuxièmement, depuis qu’il a pris le contrôle des points de passage de Rafah et de Kerem Shalom (Karem Abu Salem), Israël maîtrise directement et intégralement toutes les entrées et sorties vers et depuis Gaza, a totalement coupé l’approvisionnement de Gaza en fournitures humanitaires et médicales, en biens et en carburant dont dépend sa population pour survivre, et en empêche les évacuations médicales. Troisièmement, le risque qui pèse sur la population et les installations médicales qui demeurent encore à Rafah est extrême, compte tenu des éléments récemment découverts qui montrent que les zones d’évacuation sont traitées comme des zones d’extermination, de la destruction massive d’autres hôpitaux de Gaza et des charniers qui y ont été mis au jour, et de l’utilisation que fait Israël de l’intelligence artificielle pour établir des listes de cibles à éliminer.
Pour ces trois raisons, le risque qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige en l’affaire est on ne peut plus imminent et atteint le plus haut degré de gravité, et la nécessité d’une intervention et d’une enquête s’impose de manière urgente, a souligné l’Afrique du Sud à la Cour.
Le Hautpanel